Champagne
Champagne est une pièce à 2 personnages.
C’est l’histoire d’Eva, femme émouvante, battante mais si sensible… Un événement tragique de l’actualité frappe à la porte du restaurant où elle travaille et va chambouler sa vie en une soirée. C’est une pièce engagée.
L'autre personnage, masculin, même s'il est beaucoup moins présent est très important aussi puisqu’il est le déclencheur du changement de vie d’Eva.
C’est une loupe posée sur un coin de l’histoire et de l’humanité.
Cette pièce est traduite en anglais et quelques démarches sont entamées à Los Angelès.
Cette pièce est bien reçue en lecture par des comédiennes et je suis en attente de l’étincelle qui me permettrait de voir enfin cette pièce sur scène.
Extrait :
Elle continue, puis va chercher un produit pour nettoyer plus méticuleusement, plus tranquillement, une table plus sale que les autres sans doute.
Ah ben tiens ! (Elle les mets dans sa poche de tablier) Ca me paiera une entrée aux bains... avec qui je pourrais y aller ?… (elle continue à travailler en réfléchissant) Emilie m’enverra sur les roses, elle n’aime pas nager… le hammam et le sauna la font gonfler et devenir rouge comme une écrevisse...
Moi ça me fait un bien fou !... Les extra comme ça, j’aime bien les dépenser et pas les économiser… ça m’évite de rêver à crédit… (elle reprend ses pièces et recompte) et c’est du concret… ça me déprime de limiter mes rêves à un budget... enfin je veux dire nos rêves à nous, nos rêves de pauvres… économiser pour offrir des glaces en été aux gosses ça doit vous paraître débile mais j’ai deux de mes copines qui en sont là !... des gens mettent ça dans un bocal pour s’offrir quelques folies pendant les vacances… Emilie rêve de payer des cours de natation à sa fille… moi, avec ça, (elle fait sauter l’argent dans sa main) je profite de suite !... avant je faisais pareil pour ma petite… qu’est grande maintenant, l’été j’avais trois boulot, les ménages pour une agence immobilière le samedi matin… caissière comptable à mi-temps dans une supérette, c’était une entreprise familiale… et des nuits en surveillance et compta dans un centre d’accueil pour chevaux dépressifs… avec bien sûr, des extras comme serveuse… pas de dimanche, ni de week-end… bref la belle vie quoi !... ça a payé les études de ma fille… et son permis de conduire ! (elle s’arrête pensive ; reprend son activité un peu gênée. Elle va vers le bar)
Quelqu’un frappe à la porte venant de coulisse. Eva marque un temps d’arrêt surprise. Le bruit devient insistant. Eva va vers les rideaux et les tire pour regarder ce qui s’y passe derrière. A la radio quelques publicités se font entendre.
EVA
C’est fermé Monsieur !!... non, ça ne va pas ouvrir… ça n’ouvre pas avant demain matin 6 h maintenant !
Pardon ? la quoi ?… de… « rue de la lune en fesse »… la librairie… oui !? Continuez par là et ce sera la deuxième à gauche… non, ça c’est votre droite monsieur… sur votre droite ?!... oui c’est ça sur votre droite mais à gauche quand vous serez tourné… il est complètement bourré le mec oh la la !... (elle rigole) c’est ça en passant tout droit, ce sera aussi la même rue… la librairie est fermée aussi hein !... oui juste au-dessus oui ! (plus bas) il en tient une bonne !?... pardon !??? Non je n’ouvre pas, même pour boire un verre !... c’est bizarre y a personne dans la rue… (elle regarde sa montre) si tôt !... il va se manger le caniveau !... ah ben ça y est... quel con !... (légèrement paniquée) mais relève-toi y a des bagnoles qui passent là !... (elle déverrouille la porte, l’ouvre et sort - bruit de la rue) Ca va ?!.. (on entend le type lui parler mais on le comprend à peine)… non, non ça n’ouvre pas, continuez et restez sur le trottoir, sinon vous allez vous faire écraser !... allez bonne nuit ! (petit temps de silence. Eva rentre referme la porte et regarde en tirant le rideau) Ca me fait mal les gens perdus comme ça ! (elle relâche le rideau et retourne débarrasser les tables)...
C’est bizarre ce calme dans la rue, y a pas un chat !... déjà la nuit, c’est désert, mais là, ça sent l’apocalypse !
Elle retourne en salle et débarrasse une autre table.
C’est drôle comme la nuit enferme les gens !
Finalement elle s’assoit à la table, réfléchit. A la radio la musique a repris, jazz et lounge.
Pourquoi les gens fuit comme ça ?... dans l’alcool, le travail, le rêve… la foule !... pour se fuir soi-même, sans doute !… et pis ressembler aux autres c’est important pour s’intégrer... (elle change de ton) vu l’état de la chose à intégrer… la société… dommage, ça paraissait bien comme concept au début… (un temps) les rats et les abeilles, les baleines, les loups ?... oui !... ça, ça tient la route… Mais nous pourquoi ?… (elle prend un long temps- boit de son verre d’eau en le dégustant)… j’ai honte… des hommes !... des femmes aussi… de l’humain quoi !...
Elle pose son verre sur le bar. Elle prend un temps ; se lève débarrasse à nouveau la table ; on la sent très pré occupée, affectée. Elle retourne au rideau et regarde dehors.
Quelle calme !… On dirait qu’ils sont tous partis !... J’aimerais ça aussi moi partir… (elle revient vers le bar passe derrière) mais pas loin non, juste partir… dans ma tête… partir en silence, souffler, relâcher, respirer enfin, n’attendre plus rien et rire… suivre un chemin sans se retourner… cracher sur l’humanité qui tue les hommes un par un… ne penser qu’à réconforter ceux qui osent encore et les remercier d’essayer… chérir les anges qui portent à quelques uns la musique comme un remède à la vie… refuser les œillères qu’on met aux chevaux et aux hommes… frapper sur le vent, hurler dans l’océan la haine de ceux qui tuent l’espoir de renaître… craindre à nouveau l’épreuve et s’y sacrifier… croire que cela ne va pas durer que la fin sera belle et sans souffrance… se persuader qu’une force est là qui nous fera coucher les montagnes, inonder les déserts et racheter nos âmes… rêver qu’une lumière se fasse enfin… sans rien d’autre que le néant et l’amour… puis rêver de paix, profonde et sans retour... avec un bon massage et des tartes aux pommes... un peu de cannelle dessus !
Elle passe d’une table à l’autre, frotte machinalement les nappes, pensive.